Depuis 2023, la Cour de cassation redessine les contours du droit de la preuve et s’écarte de la vision traditionnelle qui opposait, de manière rigide, loyauté procédurale et licéité probatoire. Ainsi, dans son arrêt du 17 septembre 2025, la chambre commerciale de la Cour de cassation casse un arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence ayant écarté un rapport de détective privé au seul motif qu’il résultait d’un stratagème.

Désormais, la Cour de cassation impose au juge de procéder à un examen concret, en conciliant droit à la preuve et respect des droits fondamentaux. Cette position, loin d’être isolée, s’inscrit dans un mouvement jurisprudentiel de fond qui érige le contrôle de proportionnalité en principe directeur de l’admissibilité des preuves déloyales.

Le contentieux civil, social et commercial se structure autour d’un équilibre délicat : d’un côté, la protection de la vie privée, de la dignité et du secret des correspondances, de l’autre, le droit à la preuve et à établir ses prétentions. En consacrant cette conciliation depuis son arrêt de principe du 22 décembre 2023, la Cour de cassation modifie en profondeur la stratégie probatoire et oblige les praticiens à revisiter leurs arguments.

Le juge ne peut plus rejeter une preuve déloyale de manière automatique

preuve déloyale controle proportionnalitéL’arrêt du 17 septembre 2025 intervient dans une affaire opposant le Conseil régional de l’Ordre des experts-comptables de la région PACA à une professionnelle soupçonnée d’exercice illégal de la profession d’expert-comptable. Pour démontrer ses activités illégales, le Conseil régional de l’Ordre des experts-comptables mandate un détective privé qui, en client mystère, recueille des éléments confirmant la prestation litigieuse. Sur la base de ce rapport, le Conseil engage une action en référé.

Par ordonnance du 1ᵉʳ février 2023, le juge des référés du tribunal judiciaire de Draguignan déclare le rapport du détective privé irrecevable, car il estime que la technique du “client mystère” est un procédé déloyal. En appel, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence confirme cette irrecevabilité, rappelant que « toute preuve obtenue au moyen d’un stratagème doit être déclarée illicite » dans un litige civil ou commercial. Le Conseil régional de l’Ordre des experts-comptables forme un pourvoi en cassation en soutenant que ce rejet automatique porte atteinte au droit à la preuve.

Dans la continuité de son évolution jurisprudentielle, la Cour de cassation rejette l’approche des tribunaux de premier et second degré et affirme que le juge doit d’abord apprécier la valeur probante de la pièce et ensuite mettre en balance l’atteinte causée aux droits fondamentaux avec la nécessité de produire des preuves.
Ce raisonnement marque un infléchissement clair et constant depuis 2023 : la loyauté de la preuve ne constitue plus une condition préalable à la recevabilité d’une preuve, en l’espèce un rapport de détective privé. Ainsi, le juge ne peut écarter une pièce qu’après avoir vérifié que son utilisation créerait un déséquilibre disproportionné au détriment de la partie adverse.

Ce principe transforme la logique contentieuse. Jusqu’alors, les juges du fond adoptaient souvent une lecture stricte : toute preuve obtenue par stratagème, grâce à la technique du client mystère ou via un enregistrement clandestin, devait être écarté du débat judiciaire.

Grâce à cette évolution jurisprudentielle de la Cour de cassation, cette automaticité disparaît. Le juge conserve bien sûr un pouvoir souverain d’appréciation mais il doit motiver son choix en fonction d’un raisonnement structuré par la proportionnalité. Cette exigence renforce la sécurité juridique et le droit à un procès équitable.

Le contrôle de proportionnalité déjà affirmé par l’assemblée plénière de la Cour de cassation

Cet arrêt s’inscrit dans un courant déjà amorcé par l’assemblée plénière le 22 décembre 2023. Dans cette affaire, la Cour devait se prononcer sur la recevabilité d’un enregistrement audio réalisé à l’insu d’un interlocuteur. Elle juge que l’illicéité d’un procédé ne suffit pas, à elle seule, à entraîner son irrecevabilité. Elle consacre le principe selon lequel le droit à la preuve peut justifier, dans certaines circonstances, l’admission d’une preuve obtenue de manière déloyale.

En introduisant le contrôle de proportionnalité, l’assemblée plénière ouvre la voie à une appréciation plus souple. Elle impose au juge de considérer la gravité de l’atteinte, la nature du droit invoqué, ainsi que l’existence éventuelle de moyens de preuve alternatifs. L’arrêt du 17 septembre 2025 s’inscrit donc dans cette continuité, en transposant ce raisonnement au cas spécifique du détective privé client mystère et des contentieux économiques.

L’intérêt de cette cohérence est double. D’une part, elle unifie la jurisprudence autour d’un critère clair et transversal. D’autre part, elle envoie un signal fort aux juridictions du fond : le rejet automatique des preuves déloyales n’est plus compatible avec la conception moderne du procès équitable. En conséquence, les plaideurs peuvent désormais soutenir leurs arguments avec une palette élargie d’éléments, sous réserve de convaincre le juge de la nécessité de leur production.

Une jurisprudence constante sur l’obligation de proportionnalité

La chambre sociale et la première chambre civile participent à cette évolution en adoptant la même logique. La chambre sociale, dans plusieurs arrêts récents, accepte qu’un employeur produise des enregistrements clandestins ou des captures d’écran obtenues sans information préalable, dès lors qu’ils apparaissent indispensables pour établir une faute disciplinaire ou prouver un comportement frauduleux. Elle rappelle cependant que le juge doit mesurer l’ampleur de l’atteinte portée à la vie privée du salarié et rechercher un juste équilibre.

Par exemple, dans son arrêt du 8 mars 2023 (n° 21-12.492), la chambre sociale de la Cour de cassation admet que la preuve peut être recevable sous condition d’indispensabilité et de proportionnalité alors qu’une salariée avait produit des bulletins de paie d’autres salariés pour contester une inégalité salariale. Ces bulletins portaient atteinte à la vie privée des autres salariés.

De même, l’arrêt du 6 juin 2024 (n° 22-11.736) de la chambre sociale de la Cour de cassation concerne un contentieux d’accident du travail / maladie professionnelle. La preuve d’un salarié obtenue par un enregistrement audio clandestin est reçue, en raison de la gravité des faits allégués (violences verbales ou physiques) et de l’absence d’autres preuves satisfaisantes. La Cour admet la recevabilité sous condition, notamment celle de la proportionnalité de l’atteinte à la vie privée.

En outre, dans une affaire de harcèlement moral où une salariée produit un enregistrement réalisé à l’insu de l’employeur, la chambre sociale de la Cour de cassation confirme dans son arrêt du 10 juillet 2024 (n° 23-14.900) que cette preuve peut être utilisée à condition qu’elle est indispensable et que l’atteinte portée aux droits fondamentaux est proportionnée.

De son côté, la première chambre civile transpose cette approche aux litiges familiaux, notamment lors de la production de correspondances privées ou de relevés bancaires. Elle considère que la déloyauté du procédé ne suffit pas à écarter la preuve et qu’il faut vérifier si l’atteinte aux droits fondamentaux reste proportionnée au but poursuivi. Elle admet par exemple que la recherche de la vérité concernant la contribution à l’entretien des enfants peut justifier l’utilisation de documents obtenus sans autorisation.

Ainsi, la Cour de cassation construit une grille de lecture commune, applicable tant en droit du travail qu’en droit de la famille ou en droit commercial. Cette cohérence renforce la prévisibilité des décisions et permet aux avocats d’élaborer une stratégie probatoire sur des bases homogènes. Toutefois, elle laisse subsister une marge d’appréciation importante pour les juges du fond, qui demeurent les gardiens de l’équilibre concret entre loyauté et droit à la preuve.

Jurisprudence de la CEDH et impact sur la stratégie probatoire des avocats

L’introduction du contrôle de proportionnalité modifie profondément la manière dont les avocats conçoivent la preuve. Désormais, contester la loyauté d’un élément ne suffit plus. L’avocat doit démontrer que son admission entraîne une atteinte excessive et injustifiée aux droits de son client. Il doit argumenter en montrant que la partie adverse disposait d’autres moyens moins intrusifs ou que le moyen de preuve est manifestement disproportionné par rapport au but recherché.

Inversement, lorsqu’il souhaite produire une pièce obtenue de façon contestable, l’avocat doit convaincre le juge de sa nécessité. Il explique que l’absence d’alternative rend cette preuve indispensable et qu’elle n’entraîne pas une atteinte disproportionnée. Cette démarche impose une réflexion en amont, dès la collecte de la preuve, afin d’anticiper les arguments de proportionnalité. Elle conduit également à une documentation plus précise des conditions dans lesquelles la pièce a été recueillie, notamment lorsqu’elle provient d’une enquête privée.

Cette évolution transforme aussi la relation avec les clients. Les avocats doivent les alerter sur les risques liés à la production de certaines pièces et sur la nécessité de privilégier des méthodes de preuve respectueuses des droits fondamentaux. Toutefois, ils peuvent également mettre en avant l’opportunité stratégique d’utiliser des preuves déloyales auparavant écartées d’office, à condition de bâtir un argumentaire solide fondé sur la proportionnalité.

Cette mutation contribue à rapprocher le droit français des standards européens. En effet, la Cour européenne des droits de l’homme privilégie depuis longtemps une approche fondée sur le procès équitable et l’équilibre des droits. En intégrant ce raisonnement, la Cour de cassation inscrit la procédure civile dans une logique compatible avec les exigences conventionnelles, ce qui renforce la légitimité et la robustesse de ses décisions.

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