Un rapport de détective privé peut servir de fondement pour sanctionner un fonctionnaire ou un agent de droit public conformément à la jurisprudence du Conseil d’Etat depuis son arrêt du 16 juillet 2014 publié au recueil Lebon.
Sanctionner un fonctionnaire sur la base des constatations d’un détective privé
Afin de d’illustrer la recevabilité d’un rapport de détective privé pour motiver une sanction contre un fonctionnaire, analysons l’arrêt du Conseil d’Etat du 16 juillet 2014.
Un fonctionnaire de Jouy-en-Josas révoqué
Un fonctionnaire, agent de droit public, est en arrêt maladie longue durée.
Son employeur, la commune de Jouy-en-Josas, a des doutes sur la réalité de sa maladie et mandate un détective privé pour lever ses soupçons.
Celui-ci découvre que l’agent public travaille pour des sociétés dirigées par sa femme. L’agent de maîtrise principal exerçait sans autorisation une activité lucrative privée. Son épouse l’accompagnait car elle était gérante des deux sociétés pour lesquelles il intervenait. Le maire s’est notamment appuyé sur le rapport d’enquête d’un détective privé qui apportait la preuve du cumul d’activités.
Or, l’article 25 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dite loi Le Pors, prévoit que les fonctionnaires et agents non titulaires de droit public :
« ne peuvent exercer à titre professionnel une activité privée lucrative de quelque nature que ce soit. »
Sur ce fondement juridique, le maire de la commune de Jouy-en-Josas (78), révoque le responsable du centre technique municipal pour cumul illégal d’une activité privée par arrêté municipal du 1er octobre 2007.
Le fonctionnaire conteste ce licenciement devant le conseil de discipline de recours d’Ile-de-France mais celui-ci rend un avis favorable à la mairie de Jouy-en-Josas.
Le fonctionnaire porte alors le litige devant le tribunal administratif de Versailles qui lui donne raison et annule l’arrêté du 1er octobre 2007 et l’avis du 5 février 2008 au motif que la vie privée du fonctionnaire avait été violée.
La mairie de Jouy-en-Josas fait alors appel de la décision devant la cour administrative d’appel de Versailles
Arrêt de la Cour administrative d’appel de Versailles
Dans son arrêt du 20 octobre 2011, la 6ème chambre de la cour administrative d’appel de Versailles annule le jugement du tribunal administratif de Versailles et confirme la validité du licenciement.
Elle précise que la commune de Jouy-en-Josas n’a pas porté atteinte à la vie privée du fonctionnaire dans la mesure où le cabinet de détectives privés avait assuré une :
« mission étroitement encadrée de vérification de soupçons de l’activité professionnelle occulte d’un fonctionnaire en position d’activité. »
Les moyens mis en œuvre étaient justifiés car ils défendaient les :
« intérêts légitimes de la commune et le souci de protection de l’image de l’administration territoriale. »
Le fonctionnaire fait un recours en cassation auprès du Conseil d’État.
Le Conseil d’Etat confirme la recevabilité du rapport d’enquête de détective privé
L’arrêt du Conseil d’Etat du 16 juillet 2014 confirme l’arrêt n° 10VE01892 du 20 octobre 2011 de la cour administrative d’appel de Versailles et précise :
« qu’en l’absence de disposition législative contraire, l’autorité investie du pouvoir disciplinaire, à laquelle il incombe d’établir les faits sur le fondement desquels elle inflige une sanction à un agent public, peut apporter la preuve de ces faits devant le juge administratif par tout moyen »
Le cabinet de détectives privés avait réalisé les constatations matérielles nécessaires pour prouver l’activité privée du fonctionnaire.
Ces surveillances s’étaient limitées « à l’occasion de son activité et dans des lieux ouverts au public ».
Dans ces conditions le Conseil d’Etat a estimé que la commune de Jouy-en-Josas n’avait pas manqué à son « obligation de loyauté vis à vis de son agent » et que les constatations du détective privé pouvaient « légalement constituer le fondement de la sanction disciplinaire litigieuse ».
Différence de jurisprudence entre le Conseil d’Etat et la Cour de cassation
Relevons que la jurisprudence du Conseil d’Etat est plus favorable à l’employeur public que ne l’est la Cour de cassation vis à vis d’un employeur privé.
En effet, la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation exige d’informer préalablement le salarié des dispositifs de surveillance utilisés à son encontre conformément à l’article L1222-4 du code du travail.
En ce qui concerne les salariés du privé, contrairement aux fonctionnaires, le contrat de travail, le règlement intérieur ou les conventions collectives doivent donc mentionner l’éventualité d’une surveillance de détective privé.